Sybbyl Dezlentyr

13/09/22 - Jean-Philippe

Sybbyl Dezlentyr

Nulle entreprise ne saurait être le fait d'une seule personne & rien n'eût été possible sans l'amitié, la générosité & la qualité des êtres d'exception qui ont su trouver dans ma sollicitation suffisamment d'intérêt & porter à ma personne suffisamment de confiance pour m'ouvrir les portes de leurs archives personnelles, familiales & administratives. Qu'elles me permettent de témoigner par ces mots l'expression de mes plus indéfectibles gratitude, admiration & amitié, en premier lieu à l'endroit de Sa Seigneurie Manifeste & de Son Éminence le Bâton Noir, qui m'ont fait l'honneur & la grâce de l'usage des très-doctes bibliothèques du Palais & de l'Académie, ainsi qu'à l'endroit de leurs Grâces les très-nobles & très-honorables Patriarche aro Corin Dezlentyr & Consorte arauna Lia Cithreth-Dezlentyr qui m'ont fait l'honneur & la grâce de me donner accès à leurs très- considérables archives familiales, sous l'extrême excellence du patronage de leur fille, arauna Léïs Dezlentyr, dont la finesse, l'entendement & l'érudition n'ont d'égales que la beauté & l'aménité. Parmi toutes les personnes qui m'ont soutenu dans mon projet, je tiens à remercier très-chaleureusement mes très-chères amies les arauna Alliciance & Éva Stern, pour avoir su, par leur érudition, la pénétration de leurs analyses & la qualité de leurs conseils avisés, combler tous les vides chronologiques & difficultés qui se présentaient à moi dans ma folle entreprise. Que votre si-héroïque appétence à nous donner de si-précieuses clés pour comprendre le monde illumine encore pendant mille ans vos vies & les nôtres. Je remercie enfin celle qui a fait de chaque jour de notre commune existence la plus belle chose qu'une personne puisse rêver de connaître, la femme que j'aime chaque jour bien davantage que la veille, mon épouse Anninyel. Tu es ma Fée.

La jeune Sybbyl Dezlentyr

La jeune Sybbyl Dezlentyr réunissait toutes les qualités que des parents peuvent espérer pour leur enfant. En l'an mil trois cent dix déjà, elle lisait couramment la langue dite commune à l'âge de trois ans, effectuait mentalement des opérations complexes qui auraient terrorisé tout écolier & passait des heures dans la bibliothèque familiale, penchée sur des ouvrages rédigés en diverses langues en affirmant comprendre leurs contenus, affirmation qui, si elle n'était initialement qu'innocent mensonge d'enfant, devenait réalité après quelques mois.

Aussi belle & joyeuse de tempérament que brillante d'esprit, elle donnait à ses très-rigoureux mais justes parents l'heur de lui rêver un destin personnel d'exception, & par-là de rêver pour la Mesnie Dezlentyr une gloire à proportion, perspective qui enchantait le Patriarche d'une si-jeune famille qu'elle n'avait pas eu encore la distinction de fêter le centenaire de son anoblissement. À l'âge où la plupart des enfants humains commence à apprendre l'alphabet, elle fut confiée à un précepteur en charge de lui enseigner les métiers du négoce, de la gestion du commerce maritime & de l'administration de comptoirs & colonies. Ce fut un désastre.

Réfractaire à toute forme d'instruction selon des méthodes qu'elle ne comprenait guère, Sybbyl se rebella immédiatement contre l'autorité du précepteur, qui fut rapidement remplacé, sans meilleur résultat. En souffrance, l'enfant criait à qui voulait l'entendre que ces gens-là ne comprenaient rien & qu'ils ne voulaient lui apprendre que des choses stupides.

Son enfance & de son adolescence

Longtemps, au cours de son enfance & de son adolescence, elle resta cachée pendant des heures dans des recoins de la villa familiale, recoins qu'elle seule semblait connaître. Enfermée, elle réussissait à s'échapper par des prodiges que personne n'avait les moyens de comprendre.

Feu le Patriarche aro Arlos Dezlentyr raconte dans ses mémoires comment, quand il n'était qu'un tout-jeune enfant, sa grande sœur Sybbyl, alors âgée d'une dizaine d'année, venait le rejoindre en pleine nuit dans sa chambre, comment d'un sourire, d'un doigt sur sa bouche, elle pouvait le calmer, comment elle lui racontait pendant des heures des histoires de dragons anciens, mimant leurs gestes en des chorégraphies élaborées & qui lui semblaient plus réalistes que de nature, comment elle en venait à danser des heures durant, les yeux fermés, comme en transe, avec une grâce qui l'éblouissait. « Je serai danseuse, aurait-elle répondu à sa mère, un jour que cette dernière lui avait demandé ce qu'elle comptait faire de sa vie. Et j'épouserai un dragon, immensément ancien & immensément savant, aurait-elle aussitôt ajouté, provoquant l'immédiat, irrépressible & cruel éclat de rire de sa mère, dont la réaction plongea dans une abyssale & incurable détresse la jeune damoiselle, longuement restée pétrifiée de sidération et de douleur, d'après les mots-même de son frère feu le Patriarche aro Arlos Dezlentyr.

Une extrême singularité

Toutes les sources concordent à dire que son petit frère fut la seule personne qu'arauna Sybbyl eût jamais réellement aimée, malgré les innombrables liaisons de tous sexes & de tous peuples, qui lui furent, à tort ou à raison, prêtées au cours de sa fort-longue existence. Il convient de rester prudent quant au crédit à porter à ces allégations, tant, depuis sa plus tendre enfance, par prudence, par expérience & sans doute par conviction que personne ne pouvait réellement la comprendre du fait de son extrême singularité, elle faisait grande pudeur de ses pensées, de ses sentiments tendres & de ses émotions sincères, à tel point qu'il fut souvent allégué que son cœur pût être de glace.

Deux événements sont en revanche certains & nous semblent suffisamment significatifs pour mesurer l'amour qu'elle portait à l'endroit de la personne de son frère.

En l'an mil trois cent cinquante-trois, alors qu'elle avait déjà été condamnée par contumace à la peine de mort par l'autorité judiciaire de la Cité des Splendeurs pour, entre autres crimes & délits, de nombreux faits de crime de sang aggravés par l'usage illégal de la magie, elle rendit discrètement visite à son frère, alors Patriarche de la Mesnie Dezlentyr, en dépit des risques qu'elle encourait ce faisant, pour lui témoigner sa peine & lui présenter ses condoléances, la nuit qui suivit l'enterrement de son épouse, la Consorte arauna Sibylanthra Dezlentyr, Ar'tel'quessir victime de meurtre raciste.

Le second événement eut lieu lors de l'enterrement du Patriarche aro Arlos Dezlentyr, auquel l'auteur du modeste présent traité a assisté & peut témoigner de la présence d'arauna Sybbyl Dezlentyr. Il est aujourd'hui convenu qu'un accord de bonne volonté fut conclu par elle avec le Seigneur Manifeste d'alors, par l'entremise très-discrète de « notre » — qu'elle veuille bien me pardonner cette affectueuse familiarité — arauna Shyrrhr, pour permettre à la sorcière honnie d'assister à l'enterrement de son petit frère. Il est connu qu'arauna Shyrrhr & arauna Sybbyl partageaient une amitié et un respect mutuels, sincères & indestructibles depuis des décennies, en dépit de leurs personnalités diamétralement opposées.

Les plus sensitifs d'entre les participants à l'enterrement ont rapporté que la sorcière resta aussi absolument figée qu'une korè funéraire, sans cligner des yeux ni respirer pendant les longues dizaines de minutes de son auguste, fascinante, ensorcelante & terrifiante présence. Elle n'eut aucun mot ni regard pour la Consorte arauna Érin Cassalantre-Dezlentyr, il est d'ailleurs de notoriété publique qu'elle la haïssait, ce que d'aucun ne peut que juger parfaitement injuste du fait de la qualité admirable, & admirée, de la seconde épouse du Patriarche aro Dezlentyr.

Elle n'eut non plus aucune larme, mais chaque personne présente peut témoigner du fait que sa douleur, inouïe, incommensurable, fut, sans geste ni mot ni sanglot, transparente & écrasa l'assistance, au point que fut un temps soupçonné, à tort, usage de sortilège.

Albe Alcine

Elle n'eut non plus aucune larme, mais chaque personne présente peut témoigner du fait que sa douleur, inouïe, incommensurable, fut, sans geste ni mot ni sanglot, transparente & éÀ partir de cette date, il est fort-difficile d'avoir des informations sur les faits, gestes & domiciles d'arauna Sybbyl Dezlentyr, alors appelée Albe Alcine, la blanche sorcière. Des témoignages rapportent son établissement dans le Plan éthéré, d'autres un voyage vers quelque continent lointain, d'autres encore de longues & studieuses études en des bibliothèques si-lointaines que nous en ignorerions encore l'existence. L'auteur du présent traité considère avoir suffisamment de familiarité avec son sujet pour pouvoir agréer l'idée selon laquelle Albe Alcine brouilla si- volontairement & avec un si-indéniable talent toutes les pistes qu'aucune conjecture n'en peut devenir sérieusement légitimable & qu'il convient conséquemment de poser un voile pudique sur cette période.crasa l'assistance, au point que fut un temps soupçonné, à tort, usage de sortilège.

Le Draconomicon

Alors que des rumeurs faisaient rapport de crimes innombrables attribués à la blanche sorcière, furent découverts au cours d'un inventaire de la bibliothèque de l'Académie du Bâton Noir deux tomes surnuméraires, anonymes & jusques-alors inconnus. L'événement est devenu légendaire dans les cercles érudits & universitaires. Des espèces & cultures draconiques a acquis le statut de second traité de référence sur les Dragons après le célébrissime Draconomicon. Le second volumineux tome, pudiquement intitulé Amaranthe, reste à ce jour encore la somme de science arcanique la plus pointue d'analyse des ravages du temps, de la vieillesse & de la mort, & des moyens arcaniques à leur opposer. Les expertises en authenticité graphologique & celles en philologie comparée, auxquelles j'ai eu l'immense privilège de participer, ont permis, au terme de plusieurs années, d'établir avec certitude qu'ils étaient tous deux l'œuvre d'arauna Sybbyl Dezlentyr. Il ne fait aucun doute qu'elle a elle-même déposé les ouvrages en question dans la bibliothèque. Personne à ce jour n'est en mesure de savoir comment. Ni pourquoi.

Un pacte de refuge

Nous savons de sources concordantes, sûres & rendues récemment publiques, qu'elle adressa une lettre, de nouveau par l'entremise d'arauna Shyrrhr, d'une part à la Seigneuresse Manifeste & d'autre part à son neveu le Patriarche aro Corin Dezlentyr, pour proposer ce qu'elle trouva à appeler un « pacte de refuge ». J'eus l'extrême honneur de lire une missive parallèle personnellement adressée à arauna Shyrrhr & de la recopier afin de nourrir les archives du Palais Seigneurial. J'avoue avoir été pris par une émotion indescriptible en lisant ces quelques mots, que je transcrits intégralement ici pour vous, sans aucune correction. Ainsi est-elle.

Ma très-tendre Amie,

Lasse je me sens de souffrir incessantes dysharmonies entre la néance bruyante des foules creuses
et la symphonie translucide de mon cruel Êsprit. Ainsi suis-je souvenez-vous de fort-belle soirée où demandiez entre deux gorgées comment ce Monde je voyais ma chérie être seule personne contemplant Arcs-en-Ciel & Aurores quand tous ne discernent que noirs & blancs certains se moquent
d'autres s'effraient tous haïssent & vous seule…& moi.

Seule ainsi, n'arrive plus seulement à imaginer qu'ils seraient vraiment réels. J'aspire à une Paix à un Silence à des Ténèbres & à l'Oubli las je ne peux franchir encore la Porte de la Roche Céleste.

Je vous embrasse, prenez très-grand Soin de vous. Si-jamais vous n'existez non-pas-seulement qu'en beau-doux Rêve de ce Monde où mon Esprit ne semble vouloir cesser de me retenir captive.

CHRONIQUES HISTORIQUES DE LA MESNIE DEZLENTYR DE LA CITÉ DES SPLENDEURS D'EAUPROFONDE tomes I & III par le Docteur honoris causa Caresta ALDAVIEL, chaire universitaire en ontologie comparée et philologie à l'Académie du Bâton Noir d'Eauprofonde